Ces sociétés autrefois leader de leur marché

Ces sociétés autrefois leader de leur marché

Alexandre P. dans Startup - Le 21-08-2022

La vie d'une société est à la fois une course et un marathon. Sur un marché compétitif, il faut réussir à conserver sa place de leader et cela semble être un exercice particulièrement difficile. Quels sont les points d'attention qui pourraient sauver une société de sa chute ?

Plusieurs fois, je me suis posé ces questions :

  • Comment Dailymotion a perdu face à Youtube ?
  • Comment Deezer a perdu face à Spotify ?
  • Comment Kodak a perdu face au numérique ?
  • Comment IBM a perdu la course aux PC ?
  • Comment Nokia a perdu face au smartphone ?

Comme le chef Michel Dumas 👨‍🍳, j'ai tourné et retourné ces questions dans ma tête de la manière suivante :

  • Est-ce que leur chute est forcément dû à leur concurrence ?
  • Comment se fait-il qu'une entreprise leader en difficulté, n'a pas trouvé les ressources pour se retourner ?
  • Comment conserver une position de leader ?

Tout ceci, bien sûr n'est que théorie et supposition. Bien sûr, je me suis pas mal documenté sur le sujet afin d'essayer d'y répondre clairement. Nous allons essayer d'analyser chacun des cas présentés.

Un phénomène courant

D'après ce que j'ai pu constater, il n'est pas rare qu'une société leader dans le passé, disparaisse du jour au lendemain. Et dans 90% des cas, il s'agit d'une mauvaise décision prise en interne (on va dire que pour les 10% restants, il s'agit d'une pénurie de matière première ou d'un phénomène imprévisible, comme une catastrophe, décision externe, etc...).

Cela parait tout de même incroyable, qu'une mauvaise décision, un virage mal négocié ait emmené ces sociétés droit dans le mur. Mais c'est pourtant vrai !

La chute de Kodak

Chez Kodak, en 1976, Steve Sasson présente un modèle d'appareil photo capable de diffuser sur la télévision s'est fait rembarrer par le PDG avec une remarque dédaigneuse : "Pourquoi les gens voudraient visionner leur photo sur une télévision ?".

Mon analyse m'emmène à penser qu'il a commis plusieurs erreurs :

  • Sa première erreur a été de penser à la place du marché, c'est à dire qu'il a préféré deviner, que cela ne plairait pas plutôt que de tester son produit. Cela relève d'un problème d'égo, après avoir eu raison un certain nombre de fois, on une tendance à penser que l'on connait déjà les attentes du marché.
  • Deuxièmement, il n'a pas vu plus loin que ce qui lui a été présenté. Son jugement s'est arrêté à ce qu'il a vu sans dépasser le cadre et voir les possibilités derrière. Car, rappelons-le, ils auraient très bien pu s'appuyer sur cette technologie pour être en avance sur la photo numérique.

Et Kodak, a justement raté le coche du numérique, c'est tout de même dommage...

La chute de Dailymotion

Dailymotion ou Daily pour les intimes, a longtemps été un adversaire à jeu égal avec Youtube, du moins, dans les premières années. Mais les deux sociétés ont pris des trajectoires totalement différentes suite au rachat de Youtube par Google.

Que s'est-il passé ?

D'un côté, vous avez un modèle américain qui conçoit l'investissement massif et qui injecte via Google des fonds colossaux dans la machine Youtube. De l'autre côté vous avez un modèle français où il y a moins d'argent sur la table car moins de moyen, parce que moins d'audience. Bien sûr, Dailymotion diffusait sur plusieurs pays, mais il faut l'avouer, cela marchait surtout sur notre territoire.

Ce que je pense :

L'Etat français a bridé le développement de la plateforme Dailymotion. Plusieurs fois, l'Etat s'est prononcé, parfois même en allant jusqu'à mettre son veto. Notamment sur la possibilité de rachat partiel par Yahoo...

Ce qu'il fallait à Dailymotion dans ces moments là, c'était des fonds ! Rien d'autre que du cash pour nourrir la machine en R & D. Donc la stratégie pro-territoire, franco-français, et les enjeux de l'indépendance tech, je comprends, mais cela a eu un effet pire que si nous avions vendu partiellement la société.

Concernant le montant du rachat, aucun organisme en France n'était prêt à le mettre sur la table, et les avancés technologiques de Dailymotion, de mon point de vue n'étaient pas aussi incroyable en matière d'innovation, pour justifier l'arrêt de la transaction.

A titre de comparaison, Fabrice Bellard (FFMPEG), Jean Baptiste Kempf (VLC) font bien mieux en matière d'innovation, mais personne ne parle de leur travail, à leur juste valeur j'entends. Et ces derniers ont opté pour l'open source, alors que ce qu'il font a littéralement révolutionné la tech...

Des géants comme Google se servent de leur algorithmes sur Youtube, mais ici, personne n'est venu interdire ces champions d'ouvrir leur code source. C'est pourquoi, je ne comprends pas le positionnement des politiques, qui me parait souvent à contre-courant.

Pendant son heure de gloire, le talent de Daily, c'était son acquisition et sa rétention !

La chute de Deezer

Pour Deezer, il y a un double problème. Je sais que ce que je vais dire ne va pas arranger son introduction en bourse même si je lui souhaite tout le meilleur pour la suite, mais, après avoir été largement leader sur le marché français. Deezer connait aujourd'hui un très gros recul, il passe de 51% à 30% en 6 ans. Sans compter le fait qu'il n'a toujours pas réussi à s'imposer à l'international. Avec 2% de couverture aujourd'hui, face au géant suédois Spotify qui prend 31% du marché mondial à lui seul.

Je n'ai pas de formule miracle, mais je dois juste constater d'un point de vue totalement extérieur et sans avoir connaissance des tenants et aboutissants de ce milieu, que la stratégie de Spotify a toujours été de viser le marché international. Et cette stratégie a payé car ils se sont largement imposés, en mettant dès le début la langue de l'application en anglais.

Chez Spotify, ils avaient déjà pensé le produit pour le monde entier, alors qu'au tout début Deezer avait pensé le produit pour les français sur un modèle qui sera décliné ensuite. Peut-être que l'on peut se trouver des excuses comme : "c'est plus simple pour les suédois, de par leur culture, de faire un produit en anglais". Un phénomène que j'ai observé, c'est que souvent le marché français suit la tendance mondiale et que l'on reste rarement sur nos projets nationaux. Pour preuve :

  • Le Trombi s'est fait terrassé par Facebook
  • Le minitel s'est fait engloutir par internet
  • Priceminister (revendu à Rakuten depuis) est moins performant que Vinted

Je n'ai pas de meilleure idée de comment cela aurait du se passer. Cependant, il reste un marché francophone mondial de 300 millions de personnes, donc la part de gâteau reste quand même intéressante. Mais il ne faut pas oublier que le leader mondial pourra toujours récupérer cette part dans le futur, étant donné qu'il dégage tout de même plus de marge avec un marché plus conséquent.

Les erreurs d'IBM

IBM a longtemps été leader du marché informatique et même plus ! Pendant longtemps, l'action IBM a culminé tout en haut du marché américain. Et dans l'esprit de nombreux investisseurs, il s'agissait là d'une valeur sûre. Ce qui a été vrai pendant très longtemps, le déclin en bourse d'IBM n'étant que tout récent (à partir de 2014).

IBM reste un des pilier de l'informatique moderne, ce n'est pas parce que, comparé aux GAFAM/FAANG, cette société est plus discrète que pour autant, elle ne fait rien. Elle reste dans de nombreux domaines telles que l'IA etc, une référence en la matière. C'est à elle qu'on doit Deep Blue qui a vaincu G. Kasparov aux échecs. Et même en ce moment, laissez moi vous dire que Google n'est pas le seul à préparer un ordinateur quantique ultra puissant.

Cependant, malgré toutes ces avances IBM aurait pu être encore plus gros que ce qu'il est actuellement. Dans les années 80, lorsqu'IBM préparait son ordinateur personnel, la société a fourni beaucoup d'effort sur la partie assemblage du matériel, mais avait sous estimé l'importance de la partie logicielle. Ils ont ainsi utilisé un système Microsoft, propulsant cette société vers les sommets.

C'est grâce à ce marché que Microsoft est devenu le géant que l'on connait aujourd'hui. Effectivement, les deux sociétés étaient sur des marchés différents, mais dans l'IT céder une part de marché peut s'avérer fatal, si la croissance de l'autre société dépasse la première. C'est face à ce genre d'opportunité qu'il faut réussir à avoir la vision nécessaire qui permet d'identifier une fusion acquisition stratégique pour l'entreprise (ce que fait avec brio des gens comme Bernard Arnault).

La chute de Nokia

Pendant longtemps, Nokia a été dominé le marché des téléphones portables avec son produit phare le 3310. Adopté par tous les jeunes pour ses jeux, sa capacité à créer des sonneries etc... Bien avant les smartphones, Nokia était leader de son marché.

Nokia avait des produits pour les jeunes, les professionnels, leur gammes pouvaient plaire à tout le monde. La firme finlandaise brillait par sa présence et ses produits offraient bien plus qu'un simple téléphone cellulaire standard qui, initialement, ne permettait que de passer des appels. La société avait innové pour prendre le marché et en 5 ans seulement, son destin bascule...

Rendez-vous compte, avant sa chute Nokia détenait à lui seul près de la moitié du marché mondial. Plusieurs analyses montrent que Nokia était devenu arrogant et pensait savoir ce qu'il fallait au marché. Lors de l'explosion des smartphone, la réelle révolution se basait alors sur la partie logicielle, Nokia continuait à se concentrer uniquement sur la partie matérielle. C'est à ce moment qu'il se sont fait dépasser par tous les autres acteurs Apple, Samsung, etc. Nokia se refusait d'abandonner son système Symbian, pourtant c'est ce dernier qui causa sa perte. L'ironie dans tout ça, c'est que Nokia essayait de ne pas reproduire les erreurs d'IBM et d'avoir la maîtrise de tout son produit. Les internes, quant à eux, parlent d'un patron qui voulait décider de tout.

Je pense que sa position de leader a créé à la fois une peur de perdre cette position et en même temps une arrogance qui laisse penser que l'on sait ce qu'il faut à un marché. D'où la tendance à ignorer le besoin client et ne pas faire le deuil de ses échecs quitte à plonger avec eux.

Conclusion

Au-delà de tous ces cas, et de ces destins tragiques et talents gâchés, il y a souvent une mauvaise décision, une décision interne (Kodak, IBM, Nokia...), externe (Dailymotion). Souvent, ces décisions ont été le fruit de l'égo.

Un égo démesuré :

  • de vouloir avoir raison plutôt que de vouloir gagner
  • de penser savoir ce qu'il faut, plutôt que de laisser le client décider
  • de vouloir préserver une propriété intellectuelle sur un territoire mais sans proposer une solution alternative (injection de fonds au moins équivalente)

Jeff Bezos, le PDG d'Amazon est souvent décrit comme odieux avec son personnel. Je ne dis pas qu'il faut l'être, à vrai dire, je ne sais même pas s'il l'est vraiment. Mais, une chose est sûr, il a toujours dit que sa priorité numéro 1 était sa clientèle. Cela lui a valu de créer l'une des boîte tech les plus puissantes du monde, aujourd'hui.

Ce qui m'amène à penser, que les sociétés qui défendent leur place de leader, arrêtent souvent d'innover, de créer et de donner de la valeur aux clients, car ces derniers déploient toute leur énergie pour maintenir leur position. Pour ne pas perdre du terrain, elle ne tente plus rien de nouveau, fuit toute forme de risque, toute tentative différenciente et continue de proposer les mêmes produits.

Et à partir du moment où le focus n'était plus le besoin client, mais la société elle même et sa survie, c'était le commencement de la fin pour elle. Cela donne le champs libre pour une jeune pousse qui n'a rien à perdre, de venir ravager un marché dormant.

En outre, il nous reste encore des pépites sur le territoire français : BackMarket est un bon exemple. Ce genre de sociétés devra relever des challenges encore plus compliqués que ce qu'il a connu jusqu'à présent.

Cependant, je pense que des sociétés comme Le Bon Coin, se mettent en danger à être leader sur un territoire uniquement. Certes, ils ont l'avantage de connaître ce marché. En revanche, le jour où un leader étranger arrive et ravage le marché (comme c'est déjà le cas avec Vinted qui prend une partie de son marché grâce à la livraison incluse), ils ne pourront pas lutter.

Et je pense que si on possède un business étendu sur plusieurs marchés comme leboncoin qui propose des bonnes affaires en tout genre, voitures et immobilier, il ne faut pas s'attendre à un concurrent qui viendra prendre tout ces marchés en même temps. Le risque réel, est que plusieurs acteurs, champions sur chacun de ces sous marché viennent prendre des parts du bon coin jusqu'à ce que tout soit plus intéressant ailleurs.

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Alexandre P.

Développeur passionné depuis plus de 20 ans, j'ai une appétence particulière pour les défis techniques et changer de technologie ne me fait pas froid aux yeux.