Builder.ai : la chute d’un mirage IA à 1,3 milliard

Builder.ai, licorne IA soutenue par Microsoft, s’effondre. Hype, fake tech et bullshit : autopsie d’un mirage de l’écosystème startup.
Mai 2025. Builder.ai, startup britannique censée révolutionner la création d’applications grâce à l’intelligence artificielle, entre officiellement en procédure d’insolvabilité.
Quelques mois plus tôt, elle affichait encore fièrement plus de 500 millions de dollars levés, une valorisation à 1,3 milliard, et des logos prestigieux comme Microsoft ou le fonds souverain du Qatar sur son site. Un maquillage de réussite, jusqu’à ce que tout craque.
Promettant de rendre la création d’applications aussi simple que “commander une pizza”, Builder.ai s’était positionnée comme l’un des champions de la vague low-code/IA.
Mais derrière un écran de fumée, les fondations étaient fragiles : revenus largement gonflés, absence d’audit réel, technologie sur-vendue, et un recours massif à des développeurs humains, loin de toute vraie automatisation.
En quelques semaines, la startup passe du statut de licorne adulée à celui d’exemple d’école du “AI washing” et du FOMO investing.
Mais Builder.ai n’est pas une simple anecdote. Sa chute cristallise les dérives actuelles de l’écosystème tech : IA sur-promue, storytelling sans substance, croissance non maîtrisée, et due diligence sacrifiée sur l’autel de la hype.
Dans cet article, on revient sur :
- les promesses initiales du produit,
- la mécanique interne de la chute,
- et surtout, les leçons concrètes à tirer si tu es freelance, CTO, fondateur ou investisseur tech.
I. 🍕 Le pitch de rêve : créer une app comme on commande une pizza
Quand Builder.ai est fondée en 2016 à Londres, l’ambition est claire : rendre le développement logiciel accessible à tous, sans code, sans complexité, sans friction. L’idée centrale ? Une plateforme qui permettrait de concevoir une application mobile ou web comme on composerait une pizza sur une app de livraison.
Le storytelling est bien rôdé :
- Une plateforme appelée Builder Studio,
- Une assistante virtuelle nommée Natasha, censée guider l’utilisateur dans la création de son app,
- Un fonctionnement basé sur des “Building Blocks” : des modules réutilisables façon LEGO pour assembler des fonctionnalités prêtes à l’emploi (paiement, login, notifications…),
- Et une promesse : réduire le coût et le temps de développement d’un facteur 3 à 5, grâce à l’intelligence artificielle.
Tout y est : accessibilité, automatisation, IA, modularité, scalabilité. Une proposition de valeur pile dans l’air du temps. Et elle tape juste.
🚀 L’effet boule de neige
Le pitch séduit. Et pas n’importe qui :
- Microsoft devient investisseur et intègre la solution dans son écosystème cloud.
- Le Qatar Investment Authority participe à un tour de table massif en 2023.
- SoftBank, Insight Partners, et d’autres poids lourds de la tech embarquent.
- En tout, plus de 500 millions de dollars levés, pour une valorisation culminant à 1,3 milliard.
Builder.ai s’impose comme l’un des porte-étendards de la vague low-code/AI, dans un marché estimé à 26 milliards de dollars en 2025 (Gartner).
Les classements s’enchaînent : Fast Company, Gartner Cool Vendor, TechCrunch, FT. Le site affiche des logos clients flatteurs. Les conférences pleuvent. Les chiffres sont là. En apparence.
Mais comme souvent avec les licornes survitaminées au capital-risque, ce qui est visible est loin de refléter ce qui se passe en coulisses.
II. 🎭 La réalité derrière le rideau : peu d’IA, beaucoup de dev offshore
Derrière la promesse d’un produit “AI-powered”, Builder.ai fonctionnait en réalité comme une agence de développement déguisée. C'est là où c'est RIDICULE !
🤖 Une IA de façade
La vitrine affichait une assistante virtuelle (Natasha), un système automatisé d’assemblage de fonctionnalités, et un accompagnement IA du besoin jusqu’à la livraison.
Mais dès 2019, le Wall Street Journal lève un coin du voile :
“The AI is just branding. It’s engineers in India doing the work.”
Ce qui devait être une chaîne automatisée était en réalité un modèle humain, basé sur :
- des développeurs offshore qui codent manuellement les apps,
- une surcouche de gestion de projet semi-automatisée,
- une plateforme UX agréable, mais loin d’un vrai moteur d’IA générative.
La promesse de “zéro code” était tenue uniquement parce que quelqu’un d’autre codait à la place, dans l’ombre.
📦 Une illusion d'automatisation
Builder.ai avait industrialisé le développement externalisé déguisé :
- Les “building blocks” étaient en fait des modules personnalisés selon les projets.
- Le rendu “automatisé” n’était possible qu’à force de process humains internes.
- L’IA n’orchestrait pas le dev, elle servait à lisser la narration produit.
Et pourtant, cette illusion fonctionnait. Pourquoi ? Parce que dans un contexte post-ChatGPT, le marché voulait y croire.
Résultat : Builder.ai devient un cas d’école de “AI washing”, ce phénomène où l’on maquille des services traditionnels en solutions IA pour lever des fonds ou capter l’attention.
Mais la dissonance entre le pitch tech et la réalité opérationnelle allait bientôt s’effondrer, quand les chiffres eux-mêmes commencèrent à mentir.
III. 📉 Le modèle économique construit sur des chiffres fantômes
Ce qui a tué Builder.ai, ce n’est pas seulement une IA de façade.
C’est aussi un montage financier basé sur des revenus artificiellement gonflés, des projections intenables, et une absence totale de rigueur comptable.
💸 Des revenus… multipliés par trois
Selon plusieurs enquêtes récentes, Builder.ai aurait surestimé ses revenus de 200 à 300 % :
- 2023 : revenus annoncés à 180 M$, restatés ensuite à 45 M$.
- 2024 : prévisions internes de 220 M$, corrigées à 55 M$ en audit.
- Et encore, une bonne partie de ces chiffres venaient de “resellers” au Moyen-Orient… dont les engagements n’ont jamais été honorés.
Le nouveau CEO Manpreet Ratia, nommé début 2025, a admis que ces partenaires n’avaient ni livré les deals promis, ni payé.
En clair, les revenus présentés aux investisseurs n’existaient pas vraiment.
Moi j'appelle ça un scam !
🧾 Une comptabilité artisanale
Plus grave encore : aucun audit consolidé n’avait été réalisé depuis la création de l’entreprise.
Ce n’est qu’en 2025 que Builder.ai mandate enfin BDO pour effectuer un audit global, après plusieurs années de signatures “en interne” par des cabinets proches du fondateur.
“On a fonctionné pendant près de 10 ans comme une licorne sans commissaire aux comptes sérieux. Ce n’est pas de l’optimisation, c’est de l’aveuglement.” – commentaire d’un investisseur sous couvert d’anonymat.
🏦 Le moment du crash
Tout s’effondre quand le prêteur Viola Credit saisit 37 millions de dollars sur les comptes de Builder.ai, après avoir constaté que la société avait transmis des projections falsifiées. Cela déclenche un défaut bancaire, et ne laisse à l’entreprise que 5 millions de cash pour survivre. Quelques jours plus tard, la procédure d’insolvabilité est engagée.
À ce stade, les licenciements tombent (270 personnes sur 770), le produit est arrêté, et les clients (souvent des PME et des startups) se retrouvent sans support, sans maintenance, sans solution.
En résumé, Builder.ai n’a pas simplement échoué à livrer sa promesse technologique. Il a construit sa croissance sur des chiffres fictifs, avec la complicité du marché.
Et cette fois, l’illusion ne pouvait plus tenir.
IV. 🧩 Les vrais problèmes internes : gouvernance, finances, culture
Derrière l’emballage marketing léché, Builder.ai souffrait de dysfonctionnements structurels profonds. Ce n’est pas juste une startup qui a eu des difficultés : c’est une organisation minée de l’intérieur par des pratiques opaques, une gouvernance déficiente, et une culture de la façade.
🧙♂️ Un CEO à la fois magicien et manipulateur
Le fondateur, Sachin Dev Duggal, est resté à la tête de Builder.ai pendant près de 9 ans. Après avoir quitté officiellement son poste de CEO en mars 2025, il est resté… sous le titre évocateur de “Chief Wizard”.
Un symbole parfait : Builder.ai n’était pas géré comme une entreprise tech moderne, mais comme un spectacle, où le fondateur gérait la perception avant la réalité.
Pendant son mandat :
- Pas d’audit global,
- Des partenaires commerciaux flous,
- Un focus sur la visibilité plus que sur la viabilité.
🧾 Des pratiques comptables douteuses
Plusieurs révélations montrent que Builder.ai :
- A travaillé avec des cabinets d’audit liés historiquement à Duggal, dont certains avaient déjà collaboré avec lui sur d’autres projets.
- A changé de cabinets plusieurs fois pour ses filiales à l’étranger.
- A reporté des engagements clients fictifs comme des revenus fermes, pour séduire investisseurs et prêteurs.
Cela a conduit à une vision complètement fausse de la santé financière de l’entreprise, pendant des années.
📉 Une culture de la croissance à tout prix
Builder.ai a aussi souffert de son propre succès :
- Plus de 770 employés répartis dans le monde,
- Une expansion géographique vers le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est sans réseau solide,
- Une culture de l’emballement, où lever toujours plus importait plus que livrer mieux.
Le nouveau CEO, Manpreet Ratia (venu du fonds Jungle Ventures), a lancé un “grand ménage” à son arrivée :
- Licenciements massifs,
- Audit interne,
- Revue des canaux de vente et des priorités produit.
Mais c’était trop tard.
À ce niveau, le problème n’était plus la technologie ou le marché. Le cœur était atteint : plus de gouvernance, plus de crédibilité, plus de cash.
V. 💥 Une leçon dans la bulle GenAI et le FOMO investing
L’histoire de Builder.ai ne peut pas être racontée sans parler du contexte dans lequel elle a prospéré : celui d’une bulle autour de l’intelligence artificielle, où la peur de rater le coche (FOMO) a souvent pris le pas sur le discernement.
🧠 GenAI : entre vraie rupture et effet de mode
Depuis l’explosion médiatique de ChatGPT en 2022, l’intelligence artificielle générative est devenue le nouveau mot magique :
- Les investisseurs cherchent frénétiquement la “prochaine pépite” IA.
- Les startups rebaptisent leur pitch pour intégrer “AI” à tous les étages.
- Les slides de levée deviennent des clones les uns des autres : assistants IA, productivité décuplée, automatisation “magique”.
Builder.ai a parfaitement joué cette carte :
- En se positionnant comme un acteur IA du développement logiciel,
- En intégrant un “assistant virtuel” (Natasha),
- En promettant des gains de temps et de coûts spectaculaires, sans jamais démontrer concrètement la valeur technologique sous-jacente.
💰 Des investisseurs emportés par la hype
Microsoft, QIA, SoftBank, Insight Partners… Des acteurs de premier plan ont injecté des centaines de millions de dollars dans Builder.ai. Mais selon plusieurs analystes, aucune due diligence technique sérieuse n’a été menée :
- Pas d’analyse de l’architecture réelle de la plateforme,
- Pas de vérification de la scalabilité du modèle,
- Aucune interrogation sérieuse sur la réalité du “AI layer”.
Carrie Osman, CEO du cabinet Cruxy, résume le problème :
“Ce n’était pas juste une incompréhension de la tech. C’était un échec à comprendre la réalité commerciale. Les investisseurs ont cru au pitch sans regarder sous le capot.”
Ce phénomène a un nom : le FOMO investing. Investir parce que les autres investissent. Par peur de rester sur le carreau. Sans creuser.
Builder.ai rejoint la liste de ces startups sur-évaluées par l’effet de mode : Zymergen, Frank, Theranos... À chaque fois, une techno soi-disant révolutionnaire. À chaque fois, une chute brutale quand la réalité rattrape la fiction.
Et à chaque fois, le même rappel : dans la tech, la hype n’est pas une stratégie.
VI. 🧭 Ce que cette faillite nous apprend (et pourquoi c’est utile)
La chute de Builder.ai n’est pas qu’un échec entrepreneurial. C’est un signal fort pour l’ensemble de l’écosystème tech, à un moment où l’IA et le low-code/no-code redéfinissent les outils de demain.
Voici les leçons concrètes à en tirer, selon ton profil :
👨💻 Pour les développeurs et CTOs :
💡 L’IA “plug-and-play” n’existe pas. Beaucoup de plateformes low-code vendent de la magie là où il n’y a qu’un enchaînement de scripts ou de processus humains. Avant d’intégrer une solution dans ton architecture, regarde ce qui se passe derrière l’UI :
- Est-ce que l’IA fait vraiment le boulot annoncé ?
- Peut-on auditer ou forker ce qui est généré ?
- Le produit est-il soutenable sans leur infra fermée ?
🚀 Pour les fondateurs et product builders :
💡 Une promesse produit =/= une capacité technique. Tu peux séduire avec un pitch, mais à un moment, il faut livrer. Builder.ai a réussi à attirer clients et investisseurs sans que la techno suive. Mais une fois que la réalité s’impose, le retour de bâton est violent. 👉 Ne vends pas de la magie si tu livres de l’humain. Sois transparent sur le trade-off.
💸 Pour les investisseurs :
💡 Vérifie la stack, pas juste les slides. Un audit technique indépendant devrait être systématique pour toute startup se disant “AI-powered”. La hype GenAI a rendu les investisseurs paresseux. Builder.ai montre pourquoi c’est dangereux. 👉 Demande à voir : le code, l’archi, les logs, la provenance des datas, les marges réelles.
🧱 Pour l’écosystème low-code/no-code :
💡 La crédibilité passe par la transparence. Le marché reste très porteur. Mais les utilisateurs deviennent matures : ils veulent comprendre ce qu’il y a sous le capot. Il est temps d’évangéliser sérieusement sur :
- ce qui est automatisé vs. ce qui est assisté,
- comment on garantit la pérennité des apps,
- et pourquoi l’IA peut améliorer la productivité… si elle est bien utilisée.
En résumé : la tech a besoin de rigueur. L’IA a besoin de preuves. Et le marché a besoin de désillusion pour repartir sur des bases plus saines.
Conclusion – Le mirage s’est évaporé, la leçon reste
Je vous parlais dernièrement des startups bullshit qui ne font rien du tout, à part faker ...
Builder.ai s’est écroulée comme un château de cartes, sous le poids de ses propres illusions. Sa technologie était fake, ses chiffres maquillés, et ses dirigeants mentaient en permanence…
Pourtant, elle avait tout pour réussir, sur le papier.
Mais cette faillite n’est pas qu’un accident isolé. C’est un symptôme d’un écosystème qui a confondu narration et innovation, IA et automatisation, croissance et viabilité.
👉 Ce n’est pas la technologie qui a échoué. C’est le récit autour d’elle.
Aujourd’hui, des milliers de porteurs de projets misent sur des plateformes no-code ou des outils “AI-powered” pour accélérer leur développement. Beaucoup le font avec lucidité. Mais d’autres, comme les investisseurs de Builder.ai, se laissent encore piéger par des promesses trop belles pour être vraies.
Et c’est là que cette histoire devient utile. Parce qu’elle nous oblige, fondateurs, CTOs, devs, investisseurs, à regarder au-delà du pitch, à questionner la valeur réelle, et à revenir à l’essentiel :
- Est-ce que ça marche vraiment ?
- Est-ce que ça tient à l’échelle ?
- Est-ce que c’est transparent ?
Si la hype IA t’intéresse, garde cette règle en tête :
La vraie IA ne se proclame pas. Elle se prouve.
Aujourd'hui, Builder.ai, c'est ça :
L'ironie, c’est que ça l’a peut-être toujours été : un site creux, un projet vide. Comme beaucoup de projets qui se lancent aujourd’hui en clamant haut et fort qu’ils font de l’IA…
Utilisateurs, commencez par apprendre à faire les choses de vos dix doigts avant de passer la main. C’est le meilleur conseil qu’on puisse donner à quelqu’un aujourd’hui.
Malheureusement, cette société accorde encore beaucoup trop de crédit à des gens qui ne font jamais rien, simplement parce qu’ils affichent un statut. Ce qui rend la réalité d’autant plus ridicule.

Alexandre P.
Développeur passionné depuis plus de 20 ans, j'ai une appétence particulière pour les défis techniques et changer de technologie ne me fait pas froid aux yeux.
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